Droits de l’enfant et approche de la maltraitance dans les cultures africaines. Les  » Psy  » en banlieue.
In Migrants – formation, n°103, Décembre 1995.

L’analyse de l’existence des droits de l’enfant dans les cultures africaines est un préalable pour définir la maltraitance. Le concept de l’enfant otage permet d’expliquer les différentss types de violences constatées sur l’enfant africain dans le contexte de l’immigration . L’ école de parents migrants serait l’une des solutions pour éviter les malentendus néfastes à l’enfant , sa famille et les institutions socio-éducatives .

La maltraitance a été très peu abordée dans la littérature et dans les études concernant l’enfant africain. Les différents auteurs africains et étrangers ayant présenté une vision idyllique des relations humaines en Afrique, il paraissait indécent de parler de violence sur les enfants dans ce qui apparaissait alors comme berceau de l’humanité .

Il n’est pas aisé pour des problèmes méthodologiques de définir la maltraitance dans les cultures africaines si on s’adresse à un public occidental. Car il s’agit le plus souvent de questions d’éthique : faut-il inclure où non dans la catégorie des mauvais traitements , et si oui d’emblée ou non , telle ou telle pratique que condamne la convention internationale des droits de l’enfant , mais que valident ou légitiment largement les normes de référence de la société au sein de laquelle cette pratique est constatée ? ( Jésu ,1995) .
Dans le cadre du présent article, nous parlerons du problème des droits de l’enfant et de la place de la violence dans le processus éducatif africain , ensuite nous discuterons à partir de cas précis sur l’ approche de la maltraitance dans l’immigration africaine en France . Nous conclurons sur le type de collaboration qui peut exister entre professionnels des institutions socio-éducatives et judiciaires et des praticiens issus des pays du sud pour répondre aux problèmes que posent les familles issues de l’immigration africaine .

DROITS DE L’ENFANT DANS LES SOCIETES TRADITIONNELLES AFRICAINES

Les sociétés africaines n’ont pas attendu qu’il y ait une charte internationale pour reconnaître des droits aux enfants . Dans la biographie de l’illustre africain Amadou Hampate Ba , racontant son enfance qui se déroule au début du siècle l’auteur dit : Quand j’eus atteint l’âge de sept ans, un soir, après le dîner , mon père m’appela. Il me dit: Cette nuit va être celle de la mort de ta petite enfance . Jusqu’ici ta petite enfance t’offrait une liberté totale . Elle t’accordait des droits sans t’imposer aucun devoir , pas même celui de servir et d’adorer Dieu . A partir de cette nuit tu entre dans ta grande enfance .Tu seras tenu à certains devoirs , à commencer par celui d’aller à l’école coranique ( Ba , 1991).

Les sociétés africaines reconnaissent à l’enfant le droit de se nourrir, d’être logé , de s’habiller, d’être protégé et surtout d’être instruit. les africains considèrant que l’enfant est le seul investissement rentable , ils sont prêts à d’énormes sacrifices pour que ceux-ci s’insèrent dans les nouveaux secteurs économiques et fassent ainsi bénéficier leur groupe familial tout entier (Locoh,1992).

La différence avec les sociétés occidentales vient de la conception de la socialisation et de la formation de la personnalité . Contrairement aux sociétés occidentales , les cultures africaines reconnaissent difficilement une personnalité à l’enfant . Dans les sociétés traditionnelles du Sud – Cameroun , les nouveaux nés affligés d’une pathologie organique importante étaient voués à la mort …les enfants normaux devaient par ailleurs vivre d’autres influences dans la communauté . Ne pouvant exister pour eux même , ils n’étaient souvent que le représentant d’une personne morte ou vivante , aimée ou haïe . Les affects liés à cette personne leurs étaient transposés ( Lolo, 1991 ) . En naissant l’enfant africain est déjà enfermé dans une histoire qu’il ne vient que répéter, ce qui l’empêche de réagir au monde selon sa propre sensibilité . il n’est pas demandé à un enfant de grandir et/ou de s’autonomiser .S’il doit grandir , il grandira dans le corps de sa mère et/ ou dans les projets de non frustration de celle-ci (Lolo , 1991 ) .

Dans l’Afrique traditionnelle, le processus d’identification passait par le nom , celui-ci façonnait l’identité individuelle, il pouvait aussi être porteur d’un message social ou expliquer un événement lié à la naissance de l’enfant . L’identité psycho-sociale se réalisait par l’attachement aux caractéristiques du groupe ethnique auquel l’enfant appartient , ou à la classe d’âge ayant subit le même rite d’initiation .Enfin le rang de la naissance comptaient beaucoup pour les droits et les devoirs des enfants dans la famille . Le droit d’aînesse était sacré , les garçons garants de la perpétuation de la lignée familiale , bénéficiaient très tôt du respect des personnes âgées. En contre partie ils devaient assurer la protection des plus jeunes et être le substitut des parents pendant leur absence .

L’éducation des enfants était souvent confiée aux femmes jusqu’à ce que ceux-ci atteignent l’âge de sept ans, on assistait alors à une sexualisation des rôles parentaux: la mère s’occupe de l’éducation des jeunes filles à qui elle apprend les rôles de future épouse et de future mère elle leur apprend à se tenir convenablement en public, inculque des notions de pudeur etc…, le père s’occupe de l’éducation des garçons à qui il apprend des notions telles que l’intégrité et l’honneur. Cependant l’éducation de l’enfant n’incombe pas à ses seuls parents biologiques tout adulte de la communauté et de la génération des parents se sent responsable de l’éducation des enfants c’est le principe de l’éducation dite diffuse qui se passe sur deux espaces : l’intérieur de la maison où règne le père , et l’extérieur de la maison où les enfants sont sous la surveillance des adultes. Ainsi , contrairement à la situation en France , en Afrique un enfant dans la rue n’est pas automatiquement un enfant en danger.

La notion d’adolescence est mal cernée en Afrique, les jeunes passant directement du statut d’enfant à celui d’adulte. Dans les sociétés traditionnelles africaines, pour les filles la puberté signifie l’entrée dans l’âge adulte. Elles sont mariables et quelques fois déjà promises à un mari depuis leur tendre enfance. Les garçons restent pendant longtemps dépendants à l’égard des anciens, parfois même lorsqu’ils ont accédé au mariage et au statut de chef de famille. Leur autonomie , cette conquête de la jeunesse sur d’autres continents, reste très réduite (Locoh 1992). Qu’en-est-il de la relation adulte/enfant dans la transmission des savoirs ?

Au Nigeria et dans beaucoup de pays africains les adultes se considèrent comme élus par Dieu pour éduquer et protéger les enfants , c’est à ce titre que ces derniers doivent leur obéir aveuglément et ne poser aucune question. On ne doit pas les écouter , mais seulement les surveiller ( Olutoyin 1991 ). Les personnes âgées sont considérées comme uniques détenteurs de la sagesse , comme le dit ce proverbe Yoruba (tribu du Nigéria ) un jeune peut avoir autant d’habits qu’une personne âgée, mais il n’aura jamais autant de rides que lui ( Ellein B, Afamefuna ,1986) . Ce qui veut dire en d’autres termes qu’un jeune peut être aussi instruit qu’une personne âgée, mais il n’aura jamais autant d’expérience que lui .Cette négation de la personnalité à l’enfant , ce refus de lui accorder une opinion, un droit à la parole , conception qui est encore largement répandue en Afrique noire , est peut-être la plus grande privation de droits pour un individu , fut-il un enfant .

ANTHROPOLOGIE DE LA VIOLENCE DANS LE PROJET EDUCATIF DES CULTURES AFRICAINES

Même si cela peut paraître assez polémique , mes observations m’ont amené à penser que l’éducation de l’enfant dans les cultures africaines s’effectue dans un mode assez répressif .
La violence qui est exercée sur l’enfant dans son rapport avec l’adulte s’explique par la croyance assez répandue qu’il faut préparer l’enfant à vivre dans un environnement qui sera hostile physiquement et psychologiquement. Cette perception de la vie est certainement liée à l’histoire du continent noir où se sont succédés les rapts de l’esclavage , et la brutalité de la violence coloniale .
Dans les techniques de maternage , les femmes wolof du Sénégal massent le corps du bébé pour qu’il passe de l’état mou , humide(liir bu tooy) à l’état dur, solide (liir bu fer) puis à l’état sec enfin au moment du sevrage. Le massage contribue à cette transformation il rend la peau ferme , durcit les os de l’enfant , le protégeant contre d’éventuelles fractures…les exercices au cours desquels l’enfant est lancé et rattrapé par la mère , ou bien encore est suspendu tête en bas , tenu par les pieds, sont conçus comme exerçant l’enfant au contrôle de ses réactions devant toute situation insolite (Rabin-jamin, 1992 )

Les rites d’initiation soo des betis du Sud – Cameroun qui sanctionnaient le passage de l’enfance à l’âge adulte comportaient des épreuves demandant une grande endurance physique, beaucoup de jeunes y trouvaient la mort , ils étaient la honte de leur famille , et étaient enterrés en brousse .Ceux qui avaient bravés ces épreuves revenaient au village, une fête était alors organisée en leur honneur . Les Yorubas du Nigeria considèrent l’absence de punitions physiques comme un signe de permissivité voire de démission ( Olutoyin,1991 ) . Les Wolofs du Sénégal , pour empêcher que les enfants soient couverts d’affection par leurs parents , confiaient leur éducation à un oncle maternel ou à un marabout pour les dresser selon un de leur proverbe, un étranger n’a pas pitié ( Bara Diop ,1985 ). Les talibés(élèves du marabout dans les écoles coraniques) étaient ainsi sévèrement battus s’ils ne rapportaient rien à leur maître à la fin de la journée pendant laquelle ils demandaient l’aumône aux passants.
En Afrique, le recours à des punitions corporelles liées à des insultes fait partie de l’éducation des enfants .Cette pratique est légitimée par tout le monde, chefs de famille, parents d’élèves , maîtres d’école et agents de l’ordre . Cependant il est aussi juste de dire que les cultures africaines ne tolèrent pas des abus de violences sur les enfants . Le récit d’Amadou Hampaté Ba parlant de son éducation est assez intéressant , l’auteur raconte de nouveau : En l’absence d’un marabout capable de continuer ma formation , mon père Tidjani Thiam prit sur lui de me donner des cours . Malheureusement , habitué à être implacable avec lui même , il fut très dur avec moi et à vrai dire peu efficace ….Ma mère tenue par les règles de pudeur peuhl qui interdisaient d’afficher ses sentiments pour ses propres enfants , ne pouvaient se plaindre auprès de son mari . Aussi est-ce Diaraw Aguibou , sa coépouse , qui s’en chargea . Elle défendit énergiquement ma cause et obtint de mon père qu’il renonce à me donner des cours en attendant que l’on puisse trouver pour moi un maître valable ( BA, 1991 ). L’enfant africain n’est donc pas une victime sans défense face à la violence des adultes .

Si nous avons évoqué avec autant d’insistance les processus éducatifs dans l’Afrique traditionnelle, c’est pour qu’ils servent de toile de fond à l’interprétation du comportement des migrants africains . Même si le contexte migratoire a profondément bouleversé les rapports familiaux , la référence à l’Afrique traditionnelle n’a pas pour autant disparue .Cette dernière est reccurente dans le discours que ces migrants donnent pour justifier certaines de leurs actions jugées inadmissibles par la société d’accueil .

ASPECTS DE LA MALTRAITANCE DANS L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE

La presse française publie régulièrement des cas de maltraitance dans les familles africaines
immigrées. Nous avons sélectionné quelques cas significatifs .

Cas N° 1
Le maître d’hôtel de l’ambassade du Cameroun en France est inculpé à Dourdan pour violence sur ses six enfants .Selon les témoignages des voisins , c’était un monsieur plutôt effacé , toujours bien habillé et très gentil . A propos des enfants, la police a interrogé les voisins , l’un d’eux a déclaré: au fond les coups sur les petits noirs ça se voit quand même moins . Un autre témoin a précisé qu’il se doutait de quelque chose : parce que l’été ces enfants étaient habillés comme en hiver ( Libération 1-08-1987 ) .

Cas N°2
Ibrahima, jeune enfant sénégalais était battu à sang et brûlé au fer à repasser par son père .Ce dernier inculpé et interrogé par la police ne semblait pas comprendre en quoi son comportement avec son fils était répréhensible .En effet , de son avis :L’indiscipline à l’école et ses fréquentes rencontres avec sa cousine méritaient bien une Bonne punition
(Le Parisien 30-09-1985 ).

Cas N° 3
Fatima une jeune fille d’origine malienne a dénoncée à la justice française Mama Guerou une femme malienne de quarante sept ans qui l’avait excisée alors qu’elle avait huit ans .Interrogée par la police , Mama Guerou à déclaré c’est une tradition familiale , je ne pouvait pas faire autrement ( Info-Matin,17-05-1994 )

Cas N°4
Monsieur K… intellectuel zaïrois vivant a Paris s’adresse à son fils aîné de six ans en lui disant si tu fais encore des bêtises je vais te taper . Le dernier fils âgé de quatre ans qui a suivi la conversation lui rétorque en France on ne tape pas sur les enfants .

Aussi paradoxal que cela puisse paraître , les parents africains que nous rencontrons dans le cadre de notre activité de psychologue, nient le phénomène de la maltraitance dans les cultures africaines (exemple du cas n° 2). Les migrants africains limitent la maltraitance aux
cas de pédophilie , d’inceste , ou d’infanticide dont ils ont souvent connaissance dans la page faits divers des médias et surtout de la télévision. Ils excluent ainsi tout autre acte de violence physique ou morale qu’ils peuvent exercer de façon régulière sur leurs enfants . Ce phénomène illustre la difficulté qu’ont des personnes à trouver leurs repères dans la modernité de la société d’accueil .

Pour expliquer la maltraitance dans le contexte de l’immigration africaine , je ferai recours au concept de l’enfant otage .
-L’enfant africain immigré est l’otage des conditions socio-économiques de ses parents .Le stress du chômage qui touche ses parents combiné à l’étroitesse des appartements pour des familles souvent très nombreuses crée des tensions chez les parents qui ,excédés ,deviennent violents . Cette violence peut aller jusqu’au meurtre des enfants dans les familles polygames où la promiscuité se mêle à des problèmes de jalousie entre co -épouses . Les enfants vivent au quotidien cette violence symbolique avec la privation de la relation de tendresse nécessaire à leur équilibre psychique .

– L’enfant africain est l’otage des traditions éducatives de ses parents Deux aspects importants sont ici à retenir :
La compulsion de répétition : elle fait que les parents africains ayant été élevés dans un contexte de punitions corporelles et de violence, ceux-ci ont du mal à concevoir une éducation différente. La violence qu’ils exercent sur leurs enfants est aussi une manière de compenser le mode d’éducation de la société d’accueil qu’ils accusent d’être trop laxiste voire permissif envers les enfants . Comme en témoignent les propos d’une assistante sociale d’origine africaine exerçant dans la région parisienne que nous avions en entretien: Si ma fille désobéit, je lui file une bonne gifle, et surtout qu’elle ne me regarde pas de face comme on le leur apprend ici à l’école .Dans les cultures africaines les enfants ne doivent pas regarder les adultes dans les yeux , cet acte est considéré comme un signe de mépris , contrairement à la société occidentale où cette attitude est considérée comme normale .
Le second aspect plus délicat est celui des mariages précoces des jeunes filles . Cette pratique est très fréquente dans certaines familles originaires de l’Afrique de l’ouest . Les parents par peur de voir leur progéniture échapper au cercle traditionnel de la communauté, organisent le mariage de leur fille avec une personne originaire de leur ethnie . Malheureusement les problèmes se posent quand ces jeunes filles , qui ont grandi en France, refusent ce type d’union .Les parents se braquent et exercent une terrible pression morale et psychologique sur la jeune fille . Les plus courageuses font appel à des professionnels des institutions judiciaires , d’autres font des fugues , dans les cas extrêmes certaines choisissent le suicide .

-L’enfant issu de l’immigration africaine est l’otage du projet éducatif de la société d’accueil Les professionnels des structures socio-éducatives et judiciaires soucieux de faire un bon produit de l’intégration pourraient exercer inconsciemment sur cet enfant deux types de violence : soit l’ignorance de son identité culturelle , soit la dévalorisation de celle-ci . J’utiliserai deux concepts pour illustrer cette situation :

– Le syndrome du numéro vert . Dans le cas n°4, le jeune enfant de quatre ans dit à son papa en France on ne tape pas sur les enfants .La première question qu’on se pose est de savoir pourquoi ce jeune garçon qui n’a jamais été en Afrique fait une telle remarque à son père ? il apparaît à notre analyse ,que cela lui a été dit dans un contexte éducatif qui n’est pas celui de sa famille . La référence à la France veut dire qu’il y a eu opposition où dévalorisation avec autre chose qui pourrait bien être l’ Afrique compte tenu des origines de ce jeune garçon .La connaissance du numéro vert devient l’acquisition d’un nouveau pouvoir par les enfants issus de l’immigration. Ceux-ci profitant de l’ignorance de leurs parents et /ou du zèle de certains éducateurs s’octroient des espaces de liberté qui s’avèrent souvent préjudiciables aux familles et aux institutions chargées de la protection de la petite enfance. Dans l’incapacité d’opposer un argument logique à leurs enfants, les parents africains se replient souvent dans une position violente , car c’est à l’échec de leur mission éducative en tant que transmission du savoir être qu’il assistent à l’intérieur de leur maison seul espace de reconnaissance qu’ils ont ..Du coté de l’enfant il y a un raidissement ,et surtout une dévalorisation de la culture d’origine de leurs parents , car ils la perçoivent sous un aspect violent .En effet , les parents revendiquent souvent telle ou telle punition au nom des traditions africaines .Si la culture d’origine est dévalorisée, mal assumée, l’identité reste floue. Dans cette déchirure peuvent alors se glisser une violence tournée vers l’autre ou contre soi-même , un repli sur des repères simplistes (Yamgnane ,1995 ).

Il ne suffit donc pas de dire à un enfant en France on ne tape pas sur les enfants , ou de lui apprendre le numéro vert qu’ il pourra utiliser en cas de danger .Il faut aussi aider les parents à expliquer à leurs enfants pourquoi on doit taper ou ne pas taper sur eux .S’il y a eu une grande réflexion sur les droits des enfants , le transfert juridique de cette charte ne s’est pas suivie d’un accompagnement, au mieux d’une explication auprès des parents migrants. On se retrouve ainsi dans la position de ce père de famille malien qui nous confiait : on nous défend de battre nos enfants, et quand ils deviennent délinquants on nous accuse de ne pas les encadrer.
Le numéro vert, s’il n’est pas transmis avec des précautions nécessaires peut fragiliser, ceux qu’il est censé protéger. Certains parents migrants préfèrent renvoyer leurs enfants au pays d’origine s’ils estiment que ces derniers remettent trop en question leur autorité

-La jeune fille malienne qui a porté plainte à son exciseuse (cas n°3) illustre parfaitement le paradoxe oedipien de l’intégration : celui-ci consiste à tuer sa culture d’origine pour renaître dans la culture de la société d’accueil en adulte . A travers ce procès, ce n’est pas seulement l’exciseuse qui est accusée mais la génération de ses parents et leur culture . Le psychiatre Ibrahim Sow décrit bien ce phénomène, quand il estime qu’en Afrique oedipe est politique .(Sow 1978 ) Le meurtre symbolique ne concerne ni le père, ni la mère, mais toute leur génération , en sachant qu ‘en Afrique par le principe de l’éducation diffuse que nous avons décrit plus haut , on n’est pas le fils de tel ou tel, mais plutôt de tous ceux de la génération du père ou de la mère

Si l’intégration doit se faire , elle ne doit pas l’être au prix du meurtre de la culture d’origine sinon la maltraitance change de camp et les parents deviennent les principales victimes. Comme l’expriment les propos d’un père de famille africain avouant qu’après vingt ans de séjour en France, il n’avait pas imaginé que c’est sa fille qui le présenterait devant un tribunal pour une simple gifle après qu’elle ait fait une fugue .

Conclusion

Aujourd’hui nous rencontrons beaucoup de parents africains qui nous demandent en tant que psychologue d’origine africaine, comment ils doivent éduquer les enfants ici en France ? Il nous arrive de proposer à ceux qui le désirent de recourir à leur authenticité, c’est à dire à ce qu’ils maîtrisent le mieux dans leur culture . Ce qui ne nous autorise pas à légitimer certaines violences au nom d’une quelconque spécificité des traditions africaines. Cependant nous pouvons faire quelques remarques :
La violence que les parents africains exercent sur leurs enfants découle aussi , comme nous avons pu l’observer , d’une méconnaissance des conséquences de la violence sur l’appauvrissement de la personnalité de l’enfant .Pour combler cette lacune et de manière préventive nous envisageons de créer une école des parents migrants où nous pensons diffuser largement les connaissances de la psychologie , de la relation parents- enfants et discuter des conditions de l’éducation des enfants migrants dans un contexte multiculturel avec les professionnels des structures socio-éducatives de la société d’accueil . La dimension éthique de la coopération technique dans le domaine de la protection de l’enfance et de maltraitance des mineurs se manifestera enfin de façon significative chaque fois que les professionnels du nord viendront solliciter l’expertise des pays du sud pour les aider à comprendre et à résoudre les problèmes que leur pose, dans ce domaine, la rencontre avec les besoins, spécifiques ou non des familles du sud ayant immigré vers le nord ( Jésu ,1995).

Notre expérience au sein de l’association AFRIQUE CONSEIL montre que la prise de conscience de la différence est aussi la reconnaissance que ce qui est implicite pour l’un n’est toujours pas explicite pour l’autre .La réussite d’une action de médiation doit donc être la traduction des implicites des uns en explicites pour les autres .

Pour clore je dirai donc que la maltraitance observée dans l’immigration africaine en France est le résultat d’une interaction anormale entre la culture d’origine des parents , le projet socio-éducatif de la société d’accueil, et la recherche de la personnalité chez l’enfant . C’est ce qui explique la fréquence d’actes de violence sur les adolescents africains par leurs parents, ces derniers ne se reconnaissant plus dans l’adolescence de leurs enfants, ils vivent alors une inquiétante étrangeté car l’adolescence est une période de choix , de perte et de deuil (Scotto, 1989 ) .


BIBLIOGRAPHIE
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