La perception de la socialisation raciale et la construction de l’identité chez les adolescents issus de l’immigration d’Afrique noire en France

Marie Antoinette HYLY et Marie Louise LEFEVBRE ed , Identité Collective et Altérité l’Harmattan , 1999 EZEMBE Ferdinand

Les études sur les adolescents issus de l’immigration africaine en France ont longtemps été dominées par la problématique des différences culturelles. La construction de l’identité se jouant sur la dialectique intérieur /extérieur , public /privé . Relèvent ainsi de la dyade intérieur/privé: la langue du pays d’origine des immigrés , leur religion ( souvent l’islam), leur alimentation et l’organisation sociale de leur famille. Relèvent de la dyade extérieur/public : la langue du pays d’accueil en l’occurrence le français, sa religion (laïque et/ou chrétienne) et son mode de socialisation (la famille nucléaire). Les chercheurs ont appréhendé différemment cette problématique. Certains anthropologues présentent ce dualisme en termes de métissage harmonieux, ainsi selon Timérat, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter, car » le partage entre les identités familiales et celles dominantes dans la société française semble se réaliser aisément sur le plan culturel. Il est donc exagéré de parler de jeunes déchirés entre deux cultures . Nicollet qui a observé le comportement des jeunes filles issues de l’immigration de l’Afrique de l’ouest ne partage pas cet enthousiasme , il se demande s’il n’y a pas dans ce processus interculturel » une francisation massive » qui passerait par l’école, et qui ne serait pas sans conséquence sur l’équilibre interne des familles africaines immigrées. Pour lui, les enfants s’éloignent en laissant les parents sur l’autre rive. Si l’école est un moyen décisif d’intégration à la société française, elle est symétriquement un facteur de désintégration de la société d’origine qui s’est projetée en France. Pour certains ethnopsychiatres, l’acculturation des jeunes issus de l’immigration aux moeurs de la société d’accueil est superficielle et conduit à un clivage de leur identité. Il s’agit d’ un apprentissage de surface, distant et artificiel. L’affectivité restant profondément enracinée dans le terreau familial, Ils sont alors obligés d’opérer un clivage entre leur culture d’origine et celle du pays d’accueil, entre un monde du dedans et un monde du dehors. La frontière entre conscient et inconscient est remplacée par une frontière culturelle matérialisée par le seuil de maison familial. Par ailleurs ces ethnopsychiatres mettent l’accent sur la perte des repères culturels chez les enfants issus de l’immigration ( n’étant rattachés nulle part du fait de la migration de leurs parents) ils proposent pour les aider à reconstruire leur identité, de recourir à des rites d’initiation qui sanctionnaient le passage de la jeunesse à l’âge adulte dans les sociétés traditionnelles africaines. Le paradoxe de cette dernière hypothèse est de proposer à ces enfants des pratiques qui sont soit en voie de disparition, soit ouvertement combattues ou interdites par la loi dans le pays d’origine de leur parents, c’est le cas entres autres de l’excision. Il convient cependant de dire que tout les chercheurs n’ont pas succombé au charme de l’hypothèse culturelle. Pour Quiminal les enfants africains étant issus du prolétariat, leurs difficultés doivent se penser en termes de rapports sociaux plus qu’en termes de différences culturelles , d’ou l’importance à accorder à leurs rapports avec l’espace, la famille, et l’école . Cette approche n’est pas très différente de celle de Porcédo qui constate une unité de revendications entre jeunes africains noirs et jeunes antillais autour de ce qu’il appelle une nouvelle négritude, influencée par les discours politiques des leaders Africains-Américains comme Malcom X. Il met l’accent sur l’identité politique ou plus exactement prépolitique résultant de l’exclusion sociale et des difficultés économiques auxquelles les jeunes noirs et leurs familles sont confrontés . Cependant la question qu’on se pose est de savoir pourquoi le thème de l’identité raciale à très peu été abordé par l’ensemble de la recherche. Plusieurs raisons à cela. La première tient au
fait que ces chercheurs ont eu affaire à une population qui venaient essentiellement du milieu rural africain. Leur coutume et mode vie constituaient donc un contraste intéressant pour renouveler le champ théorique de l’anthropologie en France . La seconde raison plus complexe tient au fait de la dictature au sein des sciences sociales françaises de ce que Lorcerie appelle » le nationalisme républicain » , position prise par une partie influente de l’intelligentsia , qui consiste à s’opposer au modèle communautaire anglo-saxon et partant de nier en France, l’existence des minorités raciales et la pluralité des mémoires sociales . Payet résume le mieux cette attitude en parlant de l’indifférence aux différences . Or, comme le dit de nouveau Lorcerie, les groupes issus de l’immigration ont une existence sociale, dans la mesure où il existe des individus qui sont perçus et se perçoivent eux-mêmes comme membres de tels groupes; et dans la mesure où cette identité est fonction de leur origine et les expose à des discriminations sociales et les désavantage, on peut dire qu’ils ont un statut de minorité,…ces minorités n’ont aucune existence juridique mais plutôt psychosociologique.

UNE PERCEPTION CONTROVERSEE

Si les problèmes des adolescents africains ne se posent donc pas seulement en termes culturels, à quoi peuvent -ils alors s’identifier ? Une étude de l’image du Noir dans les publicités et les bandes dessinées en France montre qu’elle est souvent associée à celle d’un grand enfant souriant , ou à celle d’un cannibale, comme l’indiquait la publicité d’une chaîne de fast food où un noir demandait » à quel sauce il va manger le blanc » heureusement il s’agissait du poulet. Une autre image utilisée par les organismes caritatifs est celle d’un enfant noir affamé et émacié. Il est inutile de dire l’effet néfaste de ces images dans la structuration de l’identité d’un adolescent, car elle lui renvoie une vision dévalorisée de son groupe d’appartenance , hors nous savons depuis les travaux de psychologues comme Tajfel , que l’appartenance à un groupe donné ne contribue à une identité sociale positive, que si les caractéristiques de ce groupe peuvent être comparées favorablement à celles d’autre groupes, ce qui n’est pas le cas pour les noirs africains. Bien sûr il y a d’autres images positives des sportifs Africains-Américains où des danseurs , mais elles n’échappent pas aux stéréotypes de la force nègre ou du rythme qui leur collerait à la peau . Selon le rapport de la commission nationale consultative des droits de l’homme sur la lutte contre le racisme et la xénophobie en France, les noirs d’Afrique sont après les jeunes d’origine maghrébine ( 67 %), les principales victimes du racisme (33 %) . Il faudrait cependant nuancer ce résultat car le même rapport montre que les noirs d’Afrique suscitent 51 % de sympathie auprès des français contre 12 % pour les jeunes d’origine maghrébine . Cependant Philippe Bernard du très influent journal français le Monde constate « la réalité est qu’il n’est pas facile de trouver un emploi ou un logement lorsqu’on a la peau foncée , le faciès » pas de chez nous « , un nom » à coucher dehors « , voire tout simplement une adresse dans une cité étiquetée « chaude ». Dans le même article il cite un ancien directeur de l’Agence Nationale Pour l’Emploi qui déclarait certainement avec toute sa bonne foi » malheureusement il y a des gens avec lesquels on a du mal à se sentir de plain pied (… ) les étrangers plus la couleur de la peau est foncée et plus on a du mal à se sentir de plain pied. Quelle est la part prise par la dimension raciale de l’identité dans un contexte où le débat sur l’intégration s’oriente sur les question de perception sociale , de visibilité et/ou de transparence des migrants? Les psychologues travaillant avec des populations immigrées peuvent-ils rester indifférents à cette question au moment où on parle de » la crise de l’antiracisme en France » . Comment grandit un enfant noir dans un contexte ou le racisme se banalise, où les discriminations de faits sont observées dans les domaines du logement , de l’accès à l’emploi et à l’école? . Voila les questions auxquelles cette recherche essaye de répondre.

LA METHODE

Ce travail fait suite à une première enquête qualitative que nous avions déjà menée auprès des adolescents(es) africains(es) de la région parisienne . Pour répondre à des questions sur la socialisation raciale des adolescents , nous avons utilisé le questionnaire de Stevenson Jr le SORS-A (scale of social racialisation for adolescents) qui a été testé et validé sur une population d’adolescents Africains -Américains. Le choix d’un questionnaire à large diffusion répondait au souci que nous avions d’introduire l’approche quantitative, la plupart des études ayant été qualitatives . Par ailleurs le questionnaire SORS A de Stevenson nous paraissait un instrument pertinent de part ses objectifs et l’analogie de la situation socio-économique des adolescents africains vivant dans les banlieues française et celle de leurs congénères des Etats-Unis . Présentation du SORS A Le SORS A est l’échelle de socialisation raciale , des adolescents, elle est constituée de 45 items destinés à mesurer le degré d’acceptation des comportements de socialisation raciale ou des messages raciaux d’éducation des enfants dans des domaines très important de la culture Afro-Américaine . Pour chaque item on propose une échelle de likert à cinq points allant du rejet total (1) à l’acceptation totale (5) de l’opinion émise. L’élaboration des items s’est faite en tenant compte des domaines clés des caractéristiques du fonctionnement des familles Afro-Américaines .Ces domaines incluent leur vision de la notion d’éducation, la famille élargie , la religion , le racisme dans la société , l’éducation des enfants , la fierté et l’héritage culturel Afro-Américain . Perception de la notion d’éducation . Les items relatifs à ce domaine permettent d’avoir l’ opinion des adolescents sur la présence ou non du racisme à l’école , et sur le fait de savoir si les enfants noirs se sentiraient plus à l’aise ou pas dans une école à majorité blanche .Les autres items permettent d’avoir leur opinion sur le programme scolaire et sur le fait de savoir si les connaissances sur la culture afro-américaine doivent être enseignées à l’école . La conscience de l’existence du racisme dans la société : Ce domaine regroupe les items qui incarnent les interactions sociales entre les noirs et le reste de la société. Les autres items presentent les attitudes concernant les comportements racistes qu’un jeune noir est susceptible de rencontrer dans sa vie, et l’éveil de sa conscience sur le racisme comme un fait réel de société . La mesure de l’implication de la famille élargie . Les items ici étudient le rôle important que les parents ayant un lien sanguin ou non peuvent jouer dans l’éducation d’un enfant .On demande aux sujets d’exprimer leur degré d’accord sur la réalité de l’implication de la parenté élargie dans l’éducation d’un enfant . Acceptation de l’éducation d’un enfant Ce domaine comporte les items qui étudient l’importance de l’éducation des enfants par leurs parents comme une condition de la future survie de la famille . La mesure de la religion et de la spiritualité: Ce domaine regroupe les items qui parlent de la croyance en Dieu , la dépendance à l’égard de la religion , et des pratiques spirituelles à travers des institutions religieuses organisées. La promotion de l’héritage culturel noir: Cette partie demande si les parents doivent s’engager activement dans l’enseignement de la culture et de l’histoire des noirs pour permettre à leurs enfants d’évoluer et de survivre dans la société américaine . D’autres items permettent d’étudier l’opinion qu’ils ont de l’intégration des éléments de la culture africaine dans l’enseignement familial . Nous avons adapté le SORS-A aux réalités de la population africaine immigrée en France. Quatre questions ont été modifiées . Question 5 – » Les familles devraient parler de l’esclavage des noirs avec leurs enfants. » Le terme esclavage a été remplacé par immigration. Les Africains n’étant pas arrivés en France comme esclave, ce concept était moins parlant pour les jeunes que celui de
l’immigration. Question 39 – » Si les gens n’étaient pas racistes les Africains-Américains auraient beaucoup plus de chances de trouver un emploi. » . » Africain-Américain » a été remplacée par » Noirs » l’expression » Africain-Américain » ne correspondant pas au contexte français . Question 44 – » Les enfants noirs n’ont pas besoin d’être informés sur l’Afrique pour affronter la vie en Amérique » . » Amérique » a été remplacé par » France « . Question 45 – Ma famille m’a très peu appris sur le racisme en Amérique. » Amérique » a été remplacé par » France « . b) Administration du questionnaire : 104 adolescents ( 50 garçons , 54 filles ) âgés de 13 à 17 ans de père et mère africains ont répondu au questionnaire . La passation du questionnaire a été individuelle et assurée par des enquêteurs d’origine africaine afin d’éviter tout biais dû à la présence d’enquêteur d’une autre race. Nous avons demandé systématiquement l’accord des parents dans toute les passations . c) Variables démographiques : Nous avons demandé l’âge , le sexe , la taille de la famille , et la religion des parents, nous n’avons pas demandé le niveau d’éducation des parents, les enfants étant souvent très peu renseignés sur ce sujet . Néanmoins Pour mieux comprendre notre enquête il convient de donner quelques indications sur les caractéristiques sociologiques de la population étudiée . La taille moyenne des familles africaines en France est de sept personnes alors qu’elle est de quatre personnes pour les familles françaises de souche. Dans la communauté africaine immigrée 22% de personnes seulement sont analphabètes, 60% ont eu une scolarisation jusqu’à l’âge de 20 ans , 55% ont terminé leurs études en France .La population active réside surtout en Ile-de-France (70 %), 49,3 % des travailleurs africains sont des ouvriers. Ils sont plus nombreux dans le travail dit « atypique »c’est à dire temporaire .Si les travailleurs africains représentent la main-d’oeuvre ouvrière la moins qualifiée (67 %), les originaires d’Afrique noire forment cependant la plus grosse population des cadres étrangers exerçant en France (6,8 %) avant les Italiens (6 %), les Tunisiens (3,3 %) et l’ex-Indochine (3 %) .

LES RESULTATS

Analyse factorielle de l’échelle de socialisation raciale Nous avons effectué une analyse en composantes principales de l’échelle de socialisation raciale pour l’ensemble de la population .Les cinq premiers axes ont une variance de 36, 5 % par rapport à la variance totale .Afin de voir les items qui étaient le plus saturé nous n’avons retenu que ceux qui avaient un coefficient supérieur ou égal à .30. Le tableau N°1 montre que le facteur pratique religieuse est celui qui a le plus d’items saturés ; la religion est donc une dimension importante chez les adolescents africains. On pourrait expliquer cet engouement par l’influence des parents (parmi les migrants en France, les Africains sont ceux qui ont la plus grande pratique religieuse, surtout chez les musulmans ) , pour qui la religion dans l’immigration joue le rôle de rempart contre l’acculturation et les moeurs de la société d’accueil jugées comme trop libérales et menaçant l’identité culturelle de la famille.

Pratique religieuse et spirituelle (PRS)

Il est important pour les familles d’aller à l’église ou à la mosquée qui sont des lieux où la croyance en Dieu peut se développer 0.53 La religion est une partie importante de la vie d’une personne 0.49 Croire en Dieu peut aider une personne à surmonter les épreuves de la vie 0.62 Croire en Dieu peut aider une personne à prendre des bonnes décisions 0.53 Les familles qui parlent librement de la religion et de Dieu aident leurs enfants à mûrir 0.57 Les combats que les gens mènent pour la religion sont plus importants que les combats physiques 0.47
On devrait apprendre très tôt aux enfants noirs que Dieu peut les protéger de la haine raciale 0.70

Enseignement et Sensibilisation au Racisme (ESR)

Notre société est juste envers les noirs -.06 Les familles qui parlent du racisme à leurs enfants peuvent les amener à douter d’eux mêmes 0.23 Pour les enfants de moins de cinq ans, le racisme n’est pas un problème 0.04 Les blancs ne pensent plus que les noirs sont paresseux ou agressifs comme ils le pensaient il y a trente ans 0.07 Les parents noirs ne devraient pas apprendre à leurs enfants à dire ce qu’ils pensent car ils pourraient se faire agresser par les autres membres de la société 0.34 Ma famille m’a très peu appris sur le racisme en France 0.03 Seules les personnes qui ont un lien sanguin avec vous font partie de votre famille 0.05 Un adolescent noir ne sera pas harcelé tout simplement parce qu’il ou elle est noir (e) 0.18 Les blancs n’ont pas plus de chance de réussir que les noirs 0.04 Les enfants noirs n’ont pas besoin d’être informés sur l’Afrique pour affronter la vie en France 0.03

Soutien de la Famille Elargie (SFE)

Les enfants qui s’entendent bien avec leurs parents deviendront des gens bien 0.40 Les parents noirs devraient parler de leur origines culturelles africaines avec leurs enfants 0.22 On devrait apprendre l’égalité entre toutes les races à tous les enfants 0.30 Les familles noires devraient apprendre à leurs enfants à être fier d’être noir 0.40 Pour un enfant noir, faire de bonnes études demeure le meilleur moyen d’échapper au racisme 0.32 N’oublie jamais les gens de ta communauté , tu pourrais avoir besoin d’eux un jour 0.36 Montre le bon chemin à un enfant ; il ne s’en détournera pas 0.50 Passer de bons moments avec les oncles et les tantes est aussi important pour les parents que pour les enfants 0.23 Avoir une grande famille peut aider les familles noires à surmonter les épreuves de la vie 0.06 Le racisme et la discrimination sont les choses les plus dures qu’un enfant noir doit affronter 0.012 Les oncles et les tantes peuvent aider les parents à élever leurs enfants 0.36

Renforcement de la Fierté Culturelle (RFC)

Les oncles et tantes peuvent apprendre aux enfants des choses que leurs parents ne savent peut être pas . 0.23 On devrait demander aux écoles d’enseigner à tous les enfants l’histoire de l’Afrique 0.40 Les enseignants devraient afficher les signes de la culture noire dans les salles de classe 0.37 Si les parents noirs apprennent à leurs enfants que les noirs n’ont pas toujours les mêmes opportunités que les blancs, ils pourraient les aider à surmonter le racisme et à réussir 0.47 Sans dire un mot, les parents peuvent apprendre aux enfants la fierté d’être noir 0.26 Apprendre aux enfants l’histoire des noirs peut les aider à survivre dans un monde hostile 0.51 Si les gens n’étaient pas racistes, les noirs auraient beaucoup plus de chance de trouver un emploi 0.41 Les parents noirs devraient parler du racisme à leurs enfants 0.35

Réalisation de soi et lutte pour la vie

Les enfants noirs apprendraient mieux dans une école avec beaucoup d’enfants noirs, que dans une école avec beaucoup d’enfants blancs 0.21 Les enfants noirs fréquentant une école avec beaucoup d’enfants noirs seraient plus fiers d’être noir que ceux qui sont dans une école avec beaucoup d’enfants blancs 0.28 Les Familles devraient parler de l’immigration avec leurs enfants .005 Regarder les parents se battre pour obtenir un travail peut amener les enfants noirs à se demander s’il vaut la peine d’essayer de réussir dans ce monde 0.40 Pour être le meilleur, un enfant noir doit travailler deux fois plus dur . 0.36

Intercorrélations entre facteurs pour l’ensemble de la population

L’analyse des corrélations entre différents facteurs montre que chez les adolescents(es) africains(es) – tableau 2- la pratique religieuse est fortement corrélée avec l’implication de la famille élargie , le renforcement de la fierté de la culture d’origine et la lutte pour la réalisation de soi . Une faible corrélation est observée entre la sensibilisation au racisme, l’implication de la famille élargie, et le renforcement de la fierté culturelle d’origine. La première conclusion qu’on peut faire ici est que l’identité de ces jeunes est multidimensionnelle, la pratique religieuse est l’axe principal autour duquel se greffe les autres dimensions. La sensibilisation au racisme ne fonctionne qu’a l’intérieur de la sphère culturelle et familiale , mais n’intervient pas pour la réalisation de soi et la lutte pour la survie. Ces résultats ne sont pas très différents de ceux obtenus par Stevenson , qui trouvait aussi une forte corrélation entre la pratique religieuse , l’implication de la famille élargie , et le renforcement de la fierté des origines culturelles chez les adolescents Africains Américains – tableau 2 bis .Cependant contrairement aux adolescents Africains vivant en France , les adolescents africains Américains n’établissent aucune corrélation entre les trois dimensions précitées et la sensibilisation au racisme .Cela est peut-être due a la différence d’expérience du racisme dans les deux pays . ( Insérez tableau 2 et 2 bis ici ) Nous avons ensuite effectué une analyse des corrélations entre différents facteurs pour savoir comment se construisait l’identité des adolescents selon la variable sexe ( garçons/fille), la variable type de religion (Chrétiens /Musulmans ) et la variable taille de la Famille ( Petite -moins de cinq enfants / Grande-plus de cinq enfants )

Analyse des corrélations entre différents facteurs en fonction de la variable sexe

Chez les garçons on observe une forte corrélation entre la pratique religieuse, le rôle de la famille élargie , le renforcement de l’identité culturelle et la lutte pour la réalisation de soi , ils n’intègrent pas du tout la sensibilisation au racisme dans la construction de leur identité, ce phénomène n’est pas nouveau, il avait déja été observé par Timérat chez les jeunes de l’ethnie Soninké ( immigrés de l’Afrique de l’ouest ) chez qui il constatait une difficulté d’admettre les faits discriminatoires donc ils étaient souvent victimes, il concluait à ce propos « qu’ il y a toujours une volonté d’occultation du fait ou de son efficience sur soi même , comme pour conjurer l’insoutenable condition d’être » étranger chez soi » . Par ailleurs le même phénomène a été constaté chez les jeunes d’origine africaine ou maghrébine qui rencontraient des difficultés à trouver du travail à cause de leurs origines, mais qui ne voulaient pas évoquer cet aspect des choses , les chercheurs de l’URIMIS ont qualifié cette attitude de » cécité psychique «. Par contre chez les filles on constate une corrélation entre la pratique religieuse et le renforcement de l’identité culturelle d’une part et de l’autre l’implication de la famille élargie avec l’enseignement et la sensibilisation au racisme. En comparant ces résultats avec ceux des adolescents Africains-Américains ( tableau 3 bis) on constate dans tout les cas l’importance du facteur religieux dans la construction de l’identité. Par ailleurs les garçons Africains-Américains font une corrélation négative entre la pratique religieuse et la sensibilisation au racisme alors que les adolescents Africains en France ne semblent pas sensible à ce phénomène . Enfin les filles africaines comme les filles Africaines-Américaines intègrent la sensibilisation au racisme dans la construction de l’identité . En situation d’immigration les filles seraient plus sensible au racisme que les garçons . Cette attitude pourrait s’expliquer par la double exclusion donc elles sont souvent victimes , discriminées en tant que noire , et tant que femme , Angela Davis dans une conférence à Paris expliquait à ce propos que les femmes noires s’étaient battues longtemps contre le racisme avant de se rendre compte qu’elles se battaient pour la libération des hommes noirs qui ont continué à opprimer les femmes noires.

Analyse des corrélations entre différents facteurs en fonction de la variable type de religion.

Chez les adolescents chrétiens la famille élargie et le renforcement de la fierté culturelle sont fortement corrélés à la pratique religieuse alors que la lutte pour la survie et la réalisation de soi sont corrélées avec le renforcement de l’identité culturelle . Par contre chez les jeunes musulmans la pratique religieuse est fortement corrélée avec la lutte pour la réalisation de soi et le renforcement de l’identité culturelle, mais dans les deux cas nous n’observons aucune corrélation avec la sensibilisation au racisme. Ces résultats sont assez paradoxaux on aurait pu s’attendre à ce que les jeunes musulmans soient plus sensibles à la famille élargie car l’islam a conservé les traditions communautaires africaines ce qui n’était pas le cas du christianisme qui les a déstructuré. Par ailleurs l’absence de corrélation entre la dimension religieuse avec la sensibilisation au racisme s’explique par la neutralité et la faiblesse du discours politique des institutions religieuses en France.

Analyse des corrélations entre différents facteurs en fonction de la variable Taille de la famille

Pour les petites familles (moins de cinq enfants), les adolescents font une corrélation négative entre la lutte pour la réalisation de soi, la survie et la sensibilisation au racisme , on peut penser ici que les petites familles sont déjà dans un processus d’acculturation aux moeurs de la société d’accueil (influence de la famille nucléaire ) et que dans ce cas elles sont moins sensibles et peu victimes du racisme , ce qui n’est pas le cas pour les grandes familles (plus de cinq enfants) où on observe une forte corrélation entre la pratique religieuse , le renforcement de l’identité culturelle , la lutte pour la réalisation de soi et la sensibilisation au racisme , l’hypothèse ici est que ces familles de la part de leur taille sont encore proche du modèle de la culture d’origine et de ce fait elles sont plus que d’autres victimes du regard des autres , car elles sont éloignées comme dirait Emmanuel Todd du fond commun minimal qui définit la capacité d’acceptation du système anthropologique français.

Perception de la couleur de la peau et de la justice sociale

Que veut dire être noir dans la société française ? Deux questions de notre questionnaire examinaient ce problème; la première portait sur la perception de la justice sociale en fonction de la couleur de la peau . La seconde plus complexe s’intéressait à l’évaluation du complexe de supériorité en fonction du phénotype chez les jeunes. Q1 Notre société est juste avec les noirs. Les adolescents devaient répondre à une échelle d’attitude de cinq points allant de pas du tout d’accord (1) à tout à fait d’accord (5) . Nous remarquons un effet de la variable type de religion , les adolescents de religion musulmane sont plus d’accord avec cette opinion [(m=2.44; s=1.05) ] que les adolescents chrétiens [ (m= 2 , s= 0.89 ); t = 2,27 , ddl = 102 ; P =.05 significatif ]. Les jeunes de confession musulmane ont donc une vision plus conciliatrice de la société française que les
jeunes chrétiens .On pourrait l’expliquer par les valeurs spécifiques de l’islam africain en France qui n’est pas contestataire et pousse ses adeptes à respecter les lois du pays d’accueil . Nous n’avons observé aucun effet de la variable sexe , d’où l’absence de différence entre l’opinion des garçons [(m= 2.36; s=1.13 )] et celle des filles [(m=2.03, s=0.18), t =1.66; ddl = 102; non significatif ] .Il en est de même concernant la variable taille de la famille, aucune différence n’est constatée entre les adolescents des grandes familles [(m= 2.17; s=1.00)] et ceux des petites familles [(m= 2.22 ,s=0.95 ); t = 0;23, ddl = 102 ; non significatif ]. Q36 les noirs à la peau claire pensent souvent qu’ils sont meilleurs que ceux qui ont la peau foncée. Ici aussi nous n’avons observé aucune différence: entre les jeunes garçons [(m=2.7;s=1.3)] et les jeunes filles [(m= 2.4 ;s=1.3 ); t = 1.12; ddl = 102 ; non significatif ]. ni entre les adolescents des grandes familles [( m= 2.49;s =1.33 )] et ceux des petites familles [( m= 3,04; s=2,8 ); t= 1.30 ddl =102 ; non significatif]. Par contre nous observons une différence significative entre les adolescents musulmans qui sont plus en accord avec cette opinion [( m=3.04; s = 1.39 )] que les adolescents chrétiens [(m=2.27;s=1.21 ); t= 2.95;ddl=102 ; P=0.005 ] , les jeunes musulmans viennent majoritairement de l’Afrique de l’ouest et ont une pigmentation plus foncée que les jeunes chrétiens qui viennent de l’Afrique centrale qui ont une pigmentation claire , il est possible les enfants musulmans aient plus souffert plus que leurs congénères chrétiens de la discrimination due à la couleur de leur peau.

Discussion

L’analyse de nos résultats montre l’importance du facteur religieux chez les adolescents aussi bien Africains -Américains , qu’Africains-Européens si on peut se permettre l’expression, car en réalité les adolescent africains qu’on appelle à tort immigrés sont souvent nés en France . L’importance de la religion s’expliquerait d’une part par la faible diffusion d’idée philosophique athée chez les noirs , mais aussi par le fait que la religion est utilisée par leurs parents comme un rempart contre l’acculturation /intégration de la société dominante. Les jeunes filles noires aussi bien aux Etats-Unis qu’en France intègrent la sensibilisation au racisme dans la construction de l’identité que ne le font les garçons. Nous l’avons expliqué par la double exclusion dont était victime les femmes noires , minoritaires en tant que noire et minoritaire en tant que femme . On pourrait aussi évoquer la difficulté pour des femmes noires dans une société majoritairement blanche d’avoir plus facilement des partenaires amoureux blancs , ce qui n’est pas le cas des hommes noirs qui bénéficient d’un préjugé favorable auprès de certaines femmes blanches et voient leur champ affectif plus élargie. Contrairement à ce qu’on aurait pu s’attendre les jeunes musulmans ont une vision plus conciliatrice de la société française que les jeunes chrétiens , c’est une influence de l’islam africain qui n’est pas contestataire mais pousse ses adeptes à respecter les traditions du pays d’accueil . Enfin la taille de la famille demeure un élément important de l’intégration , les petites familles semblent moins sensibles au racisme , ce qui n’est pas le cas des grandes familles.

Notre enquête a essayé d’apporter un peu plus de précision sur la connaissance de la construction de l’identité chez les adolescents africains . Par rapport aux travaux de Stevenson nous avons montré l’importance des variables psychosociologiques telles que la taille de la famille et la religion . Par rapport aux études faites en France outre la dimension quantitative et la prise en compte des variables que nous avons précitées cette enquête a ouvert la voie sur le sujet tabou de la socialisation raciale . En guise de perspective il serait intéressant d’étudier quelle est la différence dans la construction de l’identité , entre les garçons et les filles dans les familles musulmanes et dans les familles chrétiennes. La même analyse peut être faite entre garçons et filles appartenant à une grande ou une petite famille . Par ailleurs on pourrait envisager d’élargir notre étude auprès des adolescents d’une grande ville africaine comme Dakar au Sénégal. Cela nous permettra alors de faire une étude interculturelle transversale.

EZEMBE Ferdinand
AFRIQUE CONSEIL
France


Résumé

A partir d’une échelle de la socialisation raciale cette étude examine la construction de l’identité et la perception du racisme chez les adolescents Africains vivant en France . L’analyse des corrélations entre différents facteurs par une analyse en composantes principales montre que chez les adolescents africains la pratique religieuse est fortement corrélée avec l’implication de la famille élargie, le renforcement de la fierté de la culture d’origine et la lutte pour la réalisation de soi . Une faible corrélation est observée entre la sensibilisation au racisme, et les autres facteurs . Un effet de la variable sexe est observée les jeunes filles sont plus sensibles au racisme que ne le sont les garçons . Enfin concernant la variable taille des familles, on constate que les adolescents des grandes familles sont plus sensibles au racisme que ne le sont ceux des petites familles .
This study examines the identity construct and the perception of racism among African adolescents living in France , using a racial socialization scale .Correlations between various factors were examined using a principal component analysis .The results show a strong correlation between religious practices ,extended familly caring , reinforcement of cultural pride , and struggle for self-actualilzation. A small correlation has been observed between racism awareness teaching and others factors. Female adolesents are more sensitive to racism than are male adolescents . Also adolescents of large families are more sensitive to racism than are those of from small families . Mots clés : Adolescents -Africains ; Africains-Américains ; sensibilisation , racisme , fierté culturelle ; famille élargie ; réalisation de soi , pratique religieuse , lutte pour la survie ; ethnopsychiatrie. key words : African adolescents, African-Américan , racism awareness , extended familly , life struggle , achievement , religious practices , cultural pride , ethnopsychiatry.