Les thérapies africaines revisitées in Le journal des psychologues, Mai 1997, N° 147.

.. « L’Afrique est ceci … l’Afrique n’est pas cela … Le nègre a ceci , le nègre n’a pas cela ….Ce est et ce a ne peuvent -ils pas se décliner comme des figures de l’absence, de telle sorte que les négations (n’est pas ….n’a pas) qui paraissent absolues se fragmenteraient ( se relativiseraient) pour devenir , l’Afrique n’est pas encore ..n’a pas encore … ».Bidima J-G (1997 )

Anthropologie de la médecine africaine, histoire d’une méprise !
Les arts de guérisons des sociétés traditionnelles africaines ont souvent été qualifiés comme des sociothérapies dans le sens où ils ne s’adressent pas à un individu mais au groupe entier auquel il appartient . Ils sont aussi définis comme magico-religieux , toutes les maladies étant plus ou moins liées à une dimension surnaturelle.
Cependant la question à laquelle on ne saurait échapper est pourquoi a t-on attribué ces caractéristiques à la médecine africaine ? Les origines de cette méprise remontent aux travaux des premiers anthropologues qui étaient pour la plupart occidentaux. Ceux-ci, en effet, ont créé un système d’explication que les guérisseurs africains ignoraient. L’aspect pratique et la dimension biochimique de la médecine africaine avaient été sous-estimés, au profit de la seule dimension magico-religieuse. Comme le dit Edgerton (1979), dans l’Afrique pré-coloniale la croyance aux phénomènes surnaturels coexistait avec celle d’une relation de cause à effet. Cependant, seule la croyance surnaturelle a été caractérisée de traditionnelle et assimilée à la médecine africaine.
Un regard critique de la médecine africaine apporte pourtant un Autre éclairage . Ainsi Warren (1979), a étudié la médecine des Techiman bono du Ghana. Après un inventaire d’une centaine de catégories de maladies, il se rendit compte que les Techiman Bono ne faisaient aucune articulation entre les maladies et le système magico-religieux. Au contraire, ils attribuaient des causes naturelles aux maladies. Spring (1980) a retrouvé les mêmes résultats chez les Luvale de Zambie: ceux-ci attribuaient des causes naturelles à la plupart des maladies sans faire allusion aux esprits… Cette interprétation naturelle de la maladie demeure actuelle comme en témoignent les propos d’un guérisseur africain  » les causes de la folie sont multiples, la maladie mentale peut aussi avoir des causes économiques . Si quelqu’un est riche , qu’il fait des affaires et perd de l’argent , il peut tomber gravement malade tant physiquement que mentalement …..Encore un autre cas de figure ; dans un ménage polygame par exemple, une femme est abandonnée par son mari et cela peut rendre malade « ( Nathan , Hounkpatin ,1996 ) . La causalité surnaturelle n’était et n’est donc pas la plus utilisée dans les thérapies traditionnelles africaines . Il n’ y avait pas et il n’ y a pas occultation des conditions sociales et biologiques au profit de la seule explication magico-religieuse. Ceci est d’autant plus pertinent que des récents travaux ont montré l’existence d’une tradition matérialiste chez les africains , et particulièrement d’une indifférence religieuse dans des sociétés rurales , ( Messi ,1990 ) . Les africains comme les autres peuples possèdent un corpus de connaissances bien élaborées concernant les maladies et les moyens d’y remédier. Une maladie à soigner n’est pas toujours le signe d’une affection sociale à guérir, elle ne le devient que lorsque sa durée inaccoutumée, sa brusque apparition ou son aggravation, son évolution atypique et surtout sa répétition chez le même individu ou dans le même groupe domestique, mobilise l’angoisse des autres et fait surgir la question d’où vient-elle? Ce seuil de l’angoisse au-delà duquel se profile les interprétations magico-religieuses est aussi le seuil de l’usage social de la maladie comme l’explique Zempleni (1982). Cette quête de sens n’est pas spécifique aux africains ,on retrouve les mêmes attitudes chez les patients occidentaux , comme l’ont montré les travaux de François Laplantine ( 1986 ) et Sylvie Faizang (1989) .
En Afrique il existe deux types de classification qui recoupent la maladie naturelle ou de l’hôpital, et maladie indigène qui relève de la médecine traditionnelle. Les maladies de l’hôpital sont celles que les médicaments de « Blancs » peuvent guérir, et les autres maladies celles que l’européen ou l’africain passés par la faculté ne connaissent pas. Certains patients ou leur famille reconnaissent quelques fois ces dernières, ils vont alors consulter le guérisseur sans plus tarder. Les autres, moins perspicaces, se rendent d’abord à l’hôpital ou au dispensaire. Quand la guérison est trop longue à venir, ils estiment que ce n’était pas une maladie de l’hôpital, ils vont alors trouver un thérapeute traditionnel.
Le second aspect critique concerne la dimension collective et publique de la prise en charge des malades mentaux dans les cultures africaines . En effet si les thérapeutes africains accordent autant d’importance au groupe ceci ne veut nullement dire que l’individu n’existe pas ou qu’il n’y ait pas une dimension personnelle du soin et de la guérison . L’idée d’un africain indissociablement lié à son groupe est le résultat d’une généralisation hâtive d’un fait de langage et d’une ignorance. Maurice Dores (1986) précise à ce sujet  » chaque personne est nommée à l’intérieur de la concession et la place de chacun est précisée dans la parenté inlassablement répétée ….dans les langues africaines les termes déterminant la personnalité de chacun sont nombreux et reviennent souvent dans la conversation qui porte principalement sur les conduites particulières des gens .. ……il parait difficile de concevoir qu’un individu quelle que soit sa culture , puisse intérioriser moins qu’un autre ses propres affects ». Dans le même ordre d’idée Berthe Lolo ( 1993 ) montre, à partir de portraits cliniques de patients dans un hôpital camerounais ,  » une problématique identificatoire prouvant que même dans les sociétés traditionnelles africaines l’individu reste seul et qu’il est le centre des intégrations de tous les stimuli environnants « . Nous conviendrons alors avec Eric de Rosny (1977) que l’individu n’est pas plus occidental que la raison n’est hellène., ni africaine la communauté que l’émotion n’est proprement nègre . Dans les deux types de sociétés en conflit, l’ancien et le moderne, les personnes sont individualisées et appartiennent à des groupes ; mais des structures sociales , héritées d’une histoire différentes vont contraindre ces mêmes personnes à se considérer davantage comme membre d’un groupe dans un cas et comme les membres d’une collectivité dans l’autre .

Les thérapies traditionnelles africaines ont évolué, le guérisseur n’a plus en face de lui des familles entières à soigner par le biais d’un de ses membres, mais  » un individu venu parfois seul lui confier ses maux et ses problèmes » (Eric De Rosny ,1984). Les séances publiques aux cours desquelles tout le monde assiste au soin du malade ne sont qu’une variante et non la règle dans la médecine africaine. Le marabout /guérisseur est aussi le confident du malade , avec lequel il a un colloque singulier.
L’examen des itinéraires thérapeutiques des africains montre que ceux-ci sont variés et sont souvent tenus secret . Les individus sont en « quête d’un sens » entre une médecine moderne qui n’a de moderne que le nom au vu des carences matérielles existant sur le continent , et une médecine traditionnelle pas assez traditionnelle pour expliquer le mal, car la tradition se perd dans les grandes villes et comme le faisait remarquer Bernard Hours (1986) « Les plantes qui guérissent ne poussent pas sur les trottoirs de Douala « .

Il arrive aussi que les guérisseurs africains connaissent des échecs. Contrairement à ce qu’en disent Tobie Nathan et Lucien Houkpantin (opt cité) pour qui  » un guérisseur n’est jamais vaincue par une maladie, même si la mort en est l’issue , car il représente aussi la survie du groupe après la disparition du malade  » L’appréciation de l’efficacité n’étant pas dépourvue de représentations culturelles. Comme tout phénomène social, l’efficacité du guérisseur dépend du degré d’adhésion des patients aux croyances sur la maladie et la santé. On comprend pourquoi, ils ont beaucoup de difficultés à soigner les jeunes africains scolarisés donc la culture n’est pas essentiellement africaine , mais syncrétique. Citoyens comme tant d’autres des grandes villes , ces jeunes portent des jeans , regardent MTV , rêvent d’exploits sportifs comme ceux Michael Jordan , ou Basile Boli , mais aussi ils sont angoissés par leur avenir brouillé par une crise économique sans précédent, et une faillite idéologique de leur gouvernement. Pour ces jeunes, le seul recours aux divinités, fussent-elles immortelles ne suffit souvent pas à les guérir .

Attention un train peut en cacher un autre
La tentative de définir l’essence du négro-africain n’est pas nouvelle en sciences humaines, et a été rarement le projet des Africains eux-mêmes . Confrontée à la résistance des indigènes africains à la christianisation , et aux difficultés des compagnies coloniales belges d’appréhender les Bantous . Le père Tempels ( 1949 ) envisagea d’établir une psychologie du Bantou . Il partit d’une intention saine (?) « se défaire de la conception occidentale de la psychologie et se placer du point de vue du Bantou lui même pour le comprendre ainsi l’être humain considéré en dehors de la hiérarchie ontologique de l’interaction des forces est inexistant » , de la découle une théorie de la personnalité du  » Muntu  » centrée sur une ontologie vitaliste hiérarchise , avec Dieu au sommet , suivi des ancêtres créateurs du clan , des défunts du lignage , des hommes et enfin des animaux et des plantes . L’essentiel pour le Bantou est de conquérir LA FORCE VITALE et ce qui définit cette force c’est le Nom . Cette approche de l’essence du nègre est à la base de nombreuses théories sur la psychologie des Africains .Hier il était question de l’ontologie des Bantous , aujourd’hui de celle des Yorubas , des migrants africains etc… Ignorant les lois de l’évolution , l’essence du négro-africain serait enracinée , figée semblable à une momie ,  » le Yoruba reste toujours relié à son village , quoi qu’il dise ou fasse , à travers l’espace et le temps ..Le yoruba ne se métisse pas , ne s’adapte pas , n’évolue pas , il avance appuyé sur son origine « , (Nathan , Houkpatin, opt cité ) . L’Africain voudrait-il se démarquer de cette essence ? Il y aura toujours un spécialiste pour lui dire  » Tais toi je sais mieux que toi qui tu es « ( Mbembe, 1993 ) .

Parlant des peuples primitifs, Levy Bruhl (1922 ) pensait qu’ils avaient une mentalité prélogique différente de la rationalité occidentale . Le discours qui justifie la clinique des migrants africains aujourd’hui n’est pas très différent . La construction du discours sur l’Autre est toujours ambiguë Ce discours peut cacher : une fascination aveugle, avec une absence de regard critique ; une quête de soi même où l’autre est utilisée comme miroir -ainsi une collègue psychologue m’expliquait son attirance pour la clinique des migrants africains , par le fait que leur discours sur la maladie lui rappelait la dimension magique qui avait tendance à se perdre en occident – et enfin un désir inconscient (ou conscient) d’enfermer l’autre dans une catégorie précise avec une tendance vers l’ontologisation de sa différence . Le risque est que cette attitude peut justifier l’exclusion: ayant une mentalité différente , les migrants devraient vivre dans leurs ghettos avec leurs traditions; ce qui ressemble fort à une sorte de soft-apartheid, projet paradoxal au moment où la plupart des migrants luttent pour leur intégration dans la société d’accueil .

Au sein de l’association AFRIQUE CONSEIL notre pratique clinique et psychosociale est dynamique , nous pensons qu’il est possible de penser l’Africain comme un être ordinaire qui évolue et s’adapte aux ressources thérapeutiques de son époque .Cette optique est opposée au substantialisme qui tente de définir l’Africain ou le migrant comme étant fondamentalement ceci ou cela .Elle considère plutôt que l’Africain doit prendre en compte ce que l’espace lui permet en termes d’ouverture .


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